Milan Kundera, La plaisanterie, extraits choisis
« Oui, j’y voyais clair soudain : la plupart des gens s’adonnent au mirage d’une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des torts). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon) sera tenu par l’oubli. Personne de réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés »
« La machinerie psychique et physiologique de l’amour est si compliquée qu’à une certaine période de la vie le jeune homme doit se concentrer presque exclusivement sur sa seule maîtrise, si bien que lui échappe l’objet même de l’amour : la femme qu’il aime.
(…)
Pour faire pièce à cet embarras et à cette maladresse, je prenais avec Marketa des airs supérieurs : je m’évertuais à la contredire ou, carrément, à me moquer de toutes ses opinions, ce qui n’était pas bien difficile, car malgré son talent, c’était une fille innocemment candide ; toujours incapable de regarder au-delà d’une chose, elle ne voyait que cette chose elle-même (…) »
« J’étais malheureux comme seul peut être malheureux un garçon de vingt ans quand il n’a pas de femme ; garçon encore passablement timide, qui n’avait connu l’amour physique que peu de fois, au vol et imparfaitement, et qui, cependant, n’arrêter pas de s’en tourmenter l’esprit. Les jours étaient insupportablement longs et vains ; je ne pouvais pas lire, je ne pouvais pas travailler, trois fois par jour j’allais au cinéma, coup sur coup à toutes les séances, en matinée, en soirée, uniquement afin de tuer le temps, pour assourdir le hululement continu de chat-huant qu’émettait mon être profond. »
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